Microtravail

Le microtravail (ou micro-travail), appelé aussi travail au clic ou microtasking (microtâche), désigne une pratique de travail à la tâche. Il est surtout caractérisé, selon certains chercheurs, par l’extrême parcellisation et standardisation du travail en microtâches numériques[1] et par un intense détachement en termes physiques, administratifs et temporels du travail comme l'on l'entend dans le sens commun[2], au point que le théoricien Vili Lehdonvirta, un de ses majeurs définiteurs, le rapproche à un héritier du taylorisme du XIXe siècle en ce que, de même que celui-ci avait réduit le travail industriel en micro-unités, le microtravail est défini par une réduction minimale du travail de l'information en micro-unités[3].

En effet, le taylorisme est une théorie d’organisation du travail développée par F. W. Taylor (1856-1915) dans l’ouvrage « La Direction scientifique des entreprises » publié en 1911. Selon cet auteur, il faut améliorer la productivité des ouvriers en luttant contre leur flânerie. Il développe ainsi une méthode en trois axes. Ces trois éléments se retrouvent au sein des modalités de mise en œuvre du microtravail :

  • il y a tout d’abord une division horizontale du travail qui est cette parcellisation des tâches de travail élémentaires et basiques ;
  • ensuite il développe une division verticale du travail c’est-à-dire une séparation stricte entre le travail de conception et le travail d’exécution. Un bureau spécifique de conception développe l’organisation de l’exécutif ;
  • enfin, un salaire au rendement permettant un contrôle de temps d’exécution des tâches afin que celles-ci soient exécutées le plus rapidement possible. Le microtravail s’inscrit dans une forme numérique du taylorisme que l’on peut qualifier de néotaylorisme ou taylorisme new age[4] à la suite de la révolution numérique[5].

C'est en fait une pratique qui s'est développée notamment à travers la plateforme Amazon Mechanical Turk (MTurk) à partir de 2005[6]. Cette plateforme est définie comme une marketplace où l'on peut s'inscrire pour travailler en exécutant des microtâches à la demande ou, en langage technique, de HITs (Human intelligence tasks)[1], tels que rédiger de courts commentaires, cliquer, regarder des vidéos ou des photos, effectuer une présentation PowerPoint, traduire un texte, donner de la visibilité à un site Web, créer des playlists musicales, tagguer des images ou reconnaitre des visages ou des objets dans les photos[1],[7]. Pratiques qui peuvent être également mises en place par des utilisateurs non rémunérés. C’est là que se trouve un lien avec des plateformes de production participative (crowdsourcing) développées dans les années 2000 reposant sur une économie de la gratuité[8].

À la différence des plateformes de production participative (crowdsourcing) développées dans les années 2000 et qui proposaient des tâches requérant un haut niveau de savoir-faire et de compétences, les plateformes de microtravail font appel à une « main d'œuvre » non qualifiée en mesure d'exécuter des microtâches finalement très simples[9],[3]. Ainsi, le microtravail se configure essentiellement, comme l'affirment le sociologue Antonio Casilli et d'autres, en tant qu'un « centre d'élevage d'algorithmes »[9], : les microtâches exécutées sur ces plateformes ont pour premier but d'affiner la capacité d'élaboration des algorithmes, de les entrainer, voire d'apprendre aux machines à faire le travail à la place de l'homme. Ce cycle d'apprentissage supervisé est utilisé dans les applications d'intelligence artificielle utilisant des grandes bases de données(données massives ie Big data et apprentissage profond ie Deep learning).

Aux microtâches s'appliquent des micropaiements : certaines sont payées en centimes de dollars, un ou deux dollars pour les plus élaborées. L'institut américain Pew Research Center estime que les deux tiers des tâches proposées sur MTurk sont rémunérées moins de 10 centimes[10] et la moyenne horaire de salaire était évaluée par des chercheurs à 1,38 dollar/heure en 2010[11], ce qui est très peu pour un travailleur américain, mais beaucoup pour l'Inde où le salaire minimum est de moins de deux euros par jour[12].

Selon une étude de la Banque mondiale de 2013, il y aurait plus d’une centaine de plateformes de microtravail dans le monde, comptabilisant autour d'un million d’inscrits[13],[10]. Selon ces plateformes elles-mêmes[14], la somme des effectifs déclaré dépasserait en 2017 les 100 millions de travailleurs dans le monde[15]. Une étude menée en 2019 estime qu’il y aurait près de 260 000 microtravailleurs en France[16]. Pour d’autres chercheurs, ce chiffre est exagéré et ils estiment plutôt aux alentours de 52 000 les microtravailleurs réguliers[17]. Les femmes représentent 56,1% d’entre eux selon un questionnaire de la plateforme Foule Factory ( plateforme de microtravail recrutant exclusivement en France). Celui-ci rapporterait en moyenne 21 euros par mois aux micro-travailleurs[16].

  1. a b et c Dominique Cardon, Antonio Casilli, "Qu'est-ce que le Digital Labor ?", Bry-sur-Marne, INA, coll. « Études et controverses », 2015, p. 17.
  2. (en) Identity and Self-Organization in Unstructured Work - Vili Lehdonvirta et Paul Mezier, Université du Hertfordshire, 2013, p. 9 [PDF].
  3. a et b (en) Dr. Vili Lehdonvirta et Dr. Mirko Ernkvist, « Converting the Virtual Economy into Development Potential: Knowledge Map of the Virtual Economy », infoDev, avril 2011, p. 24 [lire en ligne] [PDF].
  4. « France Stratégie », sur strategie.gouv.fr (consulté le ).
  5. Mickael Sylvain, « Le Taylorisme » [PDF].
  6. (en) Identity and Self-Organization in Unstructured Work - Vili Lehdonvirta et Paul Mezier, Université du Hertfordshire, 2013, p. 8 [PDF].
  7. (en) Antonio A. Casilli, « Digital Labor Studies Go Global: Toward a Digital Decolonial Turn », in International Journal of Communication, no 11, Special Section « Global Digital Culture » pp. 3934–3954 et 3936.
  8. Barraud de Lagerie, Pauline, et Luc Sigalo Santos, « "Et pour quelques euros de plus. Le crowdsourcing de microtâches et la marchandisation du temps" », Réseaux, vol. 212, no. 6, pp. 51-84.,‎
  9. a et b Dominique Cardon, Antonio Casilli, Qu'est-ce que le Digital Labor ?, Bry-sur-Marne, INA, coll. « Études et controverses », 2015, p. 92.
  10. a et b Le micro-travail : Des corvées peu gratifiantes et mal rémunérées - Gabriel Simeon, entretien avec Antonio Casilli, 01net, 22 mars 2017
  11. (en) The Labor Economics of Paid Crowdsourcing - John J. Horton et Lydia B. Chilton, EC’10, 7-11 juin 2010, pp. 209 et 216 [PDF]
  12. Quel est le salaire minimum en Inde ? - Lucia García Botana, consoGlobe, 6 juin 2016
  13. Catherine Quignon, « Microtravail et microsalaire pour experts ou tâcheron », Le Monde, .
  14. Forde C., Stuart M. Joyce S., Oliver L., Valizade D., Alberti G., Hardy K., Trappmann V., Umney C. et Carson C. (2017). The Social Protection of Workers in the Collaborative Economy, Rapport pour la Commission Emploi et Affaires Sociales du Parlement Européen
  15. Antonio Casilli, Paola Tubaro, Clément Le Ludec, Marion Coville, Maxime Besenval, et al., Micro-Travail en France. Derrière l’automatisation, de nouvelles précarités au travail ?, [Rapport de recherche] Projet de recherche DiPLab, 2019, p. 16
  16. a et b Antonio Casilli, Paola Tubaro, Clément Le Ludec, Marion Coville, Maxime Besenval, Touhfat Mouhtare, Elinor Wahal, « Le Micro-Travail en France. Derrière l’automatisation, de nouvelles précarités au travail? », sur archives-ouvertes.fr.
  17. Pauline Barraud de Lagerie, Julien Gros, Luc Sigalo Santos, « Emportés par la foule. Pourquoi l’estimation de 250 000 microtravailleurs en France est exagérée », sur archives-ouvertes.fr.

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