Technocritique

Le « progrès technique » a suscité un grand nombre de critiques de philosophes et d'essayistes mais aussi des réactions d'artistes ; tantôt élogieuses (comme ici Composition avec turbine, de l'Allemand Carl Grossberg, 1929), tantôt ironiques (par exemple chez les da-daïstes M. Duchamp et F. Picabia).

Le néologisme technocritique définit un courant de pensée axé sur la critique du concept du « progrès technique », considéré comme une idéologie qui serait née au XVIIIe siècle durant la Révolution industrielle et qui, depuis la Seconde Guerre mondiale, s'ancre dans les consciences, principalement sous les effets de l'automatisation (la mécanisation ou le machinisme) et de l'informatisation.

Le terme est forgé en 1975 par l'ingénieur et philosophe français Jean-Pierre Dupuy[1].

La pensée technocritique s'amorce au début du XIXe siècle en Grande-Bretagne (qui était à l'époque la première nation industrielle) avec la révolte luddiste. Elle prend alors la forme d'un rejet catégorique du machinisme. Elle évolue ensuite au fur et à mesure que prospère l'industrie et que les humains s'y acclimatent. Elle connaît un regain d'intérêt au début des années 1970, quand la crise écologique devient patente. Elle s'associe alors à l'écologisme tout en restant parfois critique à son égard.

On peut ranger dans le courant technocritique du XXe siècle : Georges Bernanos, Jean Giono, George Orwell, Simone Weil, Aldous Huxley, Lewis Mumford, René Barjavel, Jacques Ellul, Bernard Charbonneau, Günther Anders, Ivan Illich et, plus récemment, Evgeny Morozov, ainsi qu'en France des publications des Éditions de l'Encyclopédie des Nuisances, à travers notamment Jaime Semprun et René Riesel, et également Serge Latouche, Éric Sadin et Olivier Rey.

Dans son sens le plus restreint, la pensée technocritique s'apparente à une critique des machines et technologies (Mumford, Le Mythe de la machine). Dans un sens plus large, elle définit la technique non seulement comme un ensemble d'infrastructures matérielles mais aussi comme un système de pensée incluant un très grand nombre de procédures et dispositifs immatériels (ex. organisation du travail, techniques de management, relations publiques…) questionnant, au-delà du phénomène de l'industrialisation, le processus de rationalisation et sa sacralisation (Ellul, Les Nouveaux Possédés et Le Système technicien).

Même si elle peut inclure des universitaires, la technocritique se démarque radicalement de la sociologie des techniques, qui constitue une activité académique spécialisée — exercée exclusivement par des universitaires — dont l'approche est pragmatique, alors que la principale caractéristique de la technocritique est d'être militante et de s'inscrire dans le cadre d'une dénonciation de l'idéologie du progrès. D'un point de vue politique, elle s'inscrit toutefois en marge du traditionnel clivage gauche-droite. Partant en effet du constat que le socialisme et le capitalisme ont en commun de célébrer le « progrès technique », les postures partisanes lui sont étrangères[2]. Elle se traduit essentiellement par un engagement pour un monde antiproductiviste et décroissant.

En 2014, l'historien François Jarrige s'est efforcé de décrire et d'analyser les diverses composantes de ce courant de pensée depuis son émergence jusqu'à nos jours[3].

  1. Cette année-là, Dupuy avait lancé aux éditions du Seuil une collection intitulée « Techno-critique », qui a vécu jusqu'en 1981.
  2. Jacques Ellul, L'Illusion politique, La table ronde, (1re éd. 1965).
  3. François Jarrige, Technocritiques. Du refus des machines à la contestation des technosciences, La Découverte, 2014.

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